D’un point de vue purement technique, le jeu est l’un des plus cleans auquel j’ai joué ces dernières années. Quelques glitches mineurs d’animations dispersés par-ci par-là et encore assez aléatoires. Ils ne se sont pas forcément manifestés à chacune de mes parties. Comparés à d’autres AAA de ces dernières années et qui étaient à un stade de version bêta à leur sortie (Star Wars Jedi : Survivor me vient à l’esprit, le jeu était blindé de chutes de framerate et de crashes), Veilguard est vraiment propre et optimisé. J’ai eu deux crashes pendant ma deuxième partie, probablement provoqués par moi-même : je faisais des allers-retours à répétition entre plusieurs maps du jeu pour déclencher des conversations ambiantes entre mes coéquipiers. J’ai sûrement poussé le jeu un peu trop loin (oups).
Le visuel
Au niveau des graphismes, le jeu est tout simplement beau et très stylisé. Oui, ce n’est pas photoréaliste, mais, au final, ce n’est qu’une version 2.0 de DAI. Les paysages (point fort du moteur) sont magnifiques et le Frostbite est enfin maîtrisé en termes de textures organiques (peaux, cuirs, chevelures, yeux...) pour les éléments sur lesquels les développeurs ont concrètement posé leur patte : c'est-à-dire les personnages principaux et secondaires. En revanche, le Frostbite reste ce qu’il est : pas mal de PNJs (dont les modèles sont générés aléatoirement par le moteur) ont des têtes bien flippantes, en particulier les Qunaris qui sont clairement claqués au sol dans leur design alors que le créateur de personnage a clairement montré qu’en s’y appliquant on pouvait créer des Qunaris dignes de ce nom. Je rappelle que les ressources du créateur ont été utilisés pour générer les PNJ.
Concernant les changements esthétiques et de design comme les engeances et les démons : la plupart ne m’ont pas dérangé. Le changement des engeances (qui n’est pas le premier, pour rappel) est d’ailleurs justifié par le scénario du jeu. J’aime tout particulièrement ce qu’ils ont fait avec l’Enclin en le rendant vivant comme une sorte de parasite, à grands coups de kystes et autres tentacules palpitants avec des sons de gargouillis et des hurlements aigus quand on l’attaque. Si Origins et Awakening ne vous avaient pas déjà fait comprendre que ce truc était une vraie saleté, Veilguard devrait vous en convaincre.

Le problème d’avoir un jeu stylisé, en revanche, c’est parfois de pousser un peu trop loin le délire. Par exemple les Corbeaux d’Antiva avec leurs costumes qui tirent sur le violet/indigo, y compris les plumes de corbeaux qui les ornent ( !). J’aurais plutôt opté pour du noir et des tons bleu nuit, d’autant que la ville de Treviso qui leur sert de base a une ambiance de crépuscule, ça aurait collé parfaitement.
Également, la manie de mettre des capes un peu partout. Je n’ai rien contre les capes mais à un moment, il faut lever le pied quand même. Surtout quand elles sont source de clipping divers.
Au final, l’appréciation de la direction artistique du jeu et les choix esthétiques dépendra de chacun. Ce qui ne m’a pas dérangé en dérangera peut-être d’autres (les goûts et les couleurs...). Ca n’empêche pas le jeu d’avoir une ambiance sombre quand c’est nécessaire. D’ailleurs, recadrage d’auteur et petite parenthèse à ce propos, il serait temps que les gens apprennent la différence entre la High Fantasy et la Dark Fantasy. DA appartient à la première et pas à la deuxième. La Dark Fantasy ce n’est pas juste avoir quelques éléments sombres ici ou là mais c’est l’ensemble du cadre spatio-temporel et de l’univers qui est dans cette ambiance. J’ai commencé à bosser depuis un an sur ma première histoire de fantasy, je peux vous assurer de quel côté de la barrière ma Saga Prétorienne se situe, on est clairement dans la veine de DA, GoT ou LotR, pas dans la Dark Fantasy.
Rappelons que le photoréalisme a tendance à être beaucoup plus gourmand en ressources système. Un détail à ne pas oublier quand on voit les prix actuels pour un PC gaming correct. Pour rappel, mon ancienne config de 2017 était encore capable de faire tourner la configuration minimale de Veilguard là où tous les gros jeux de ces deux voire trois dernières années ne passaient plus au niveau de la carte graphique.

Sur le plan des animations, le Frostbite est une fois de plus dompté, car je les trouve vraiment réussies cette fois. Il y a pas mal de petites subtilités dans les regards et les animations faciales qui rajoutent un quelque chose qui manquaient vraiment dans DAI (Mass Effect : Andromeda, je n’en parle même pas). J’ai l’impression qu’ils ont intégré une sorte d’algorithme aléatoire à ce niveau. Dans certaines scènes que j’ai rejouées plusieurs fois pour tester cette impression, pendant que Rook parlait, le personnage en face qui attendait son dialogue n’avait pas exactement la même expression sur son visage à chaque fois pendant ce laps de temps. Je ne dirais pas que c’est parfait, mais au vu de la quantité de cinématiques et de l’aspect aléatoire de la chose, ça marche généralement bien. Combinées aux textures améliorées, on trouve enfin un côté vraiment plus organique qui manquait parfois dans Inquisition et très souvent dans Andromeda.
J’évoquais les cheveux tout à l’heure au niveau des textures mais leur animation est franchement à mettre à l’honneur aussi. Les animations et la physique capillaire de ce jeu sont tout simplement les meilleures qu’il m’ait été donné de voir dans tous les jeux auxquels j’ai joué. Quelqu’un aura peut-être d’autres exemples à me donner en la matière mais, entre les textures et les animations mèches par mèche, c’est la première fois pour moi que j’ai affaire à des chevelures complexes qui font vraiment organiques dans un jeu vidéo.
Et en parlant des cheveux, le créateur de personnage est le plus complet produit par BioWare avec pléthore d’options. Il est assez technique et nécessite en conséquence de prendre son temps en testant et en tâtonnant les différentes options. En gros, il ne faut pas foncer tête baissée et faire preuve de patience.
A noter que le Miroir de la Transformation est très rapidement accessible juste après le prologue du jeu et que vous pourrez rectifier le tir au besoin pour Rook (pas pour l’Inquisiteur).
Le vocal
Au niveau vocal, on retrouve les deux voix masculines et féminines d’Inquisition mais chaque voix possède en plus deux intonations différentes ce qui donne un total de huit voix différentes possibles.
Il manquerait juste quelques détails pour le rendre vraiment parfait comme des piercings et boucles d’oreilles qui sont complètement absents, la possibilité de mixer les éléments de plusieurs designs de tatouages ensemble ou une pilosité corporelle (absente aussi mais les modders ont réglé le problème rapidement, le sens des priorités, tout ça).
Pour rappel, le créateur de personnages est disponible gratuitement comme module séparé.
On notera aussi le retour des cinématiques narratives contées par Varric comme dans DA2. Elles jalonnent les quêtes principales et les quêtes des personnages.
L’aspect sonore
Après le visuel, place à l’aspect sonore.
Je passe très rapidement sur les designs sonores. Ils sont de qualité et ça n’a jamais été un problème dans les jeux du studio. Je citerai de nouveau les sons organiques associés à l’Enclin. Un vrai régal de malaise et de glauque avec des écouteurs.
Concernant la BO en elle-même, on rentre dans un territoire encore plus subjectif à mon sens que l’aspect visuel vu que la musique c’est ce qui véhicule l’émotion d’une scène mais voici ce que j’en ai personnellement pensé.
Je dirais que les compositions de Trevor Morris pour Inquisition sont supérieures à celles de Hans Zimmer et Lorne Balfe mais que celles de Veilguard surpassent celles d’Inon Zur dans les deux premiers jeux. J’aime beaucoup les musiques de DAO et DA2 mais elles ne m’ont jamais mis une claque ou vraiment marqué (à part le thème du menu principal et du générique de fin d’Origins ou certaines musiques à la guitare sèche de DA2).
Dans DAI c’est un festival de bangers en particulier les DLC The Descent et Trespasser (et cette musique de la scène post-générique entre Solas et Flémeth me fait toujours autant kiffer). Pour Inquisition, l’effet est doublement amplifié par la façon dont sont utilisées les pistes musicales : principalement dans les cinématiques et très peu ou très discrètement pendant l’exploration où ces phases laissaient plutôt la place aux designs sonores du jeu. Donc en plus d’être déjà un cran au-dessus à la base, elles tapent encore plus fort quand elles se montrent.
Pour Veilguard, retour en arrière, la musique accompagne clairement le joueur comme dans DAO et DA2. Mais contrairement à ces derniers, la BO contient une belle brochette de titres que j’ai trouvé très bons et dans ce lot une bonne poignée m’ont vraiment fait kiffer au même titre qu’Inquisition. Tous les thèmes liés à Taash, et donc le Riveïn et les dragons, avec leur influence orientale, la musique de combat des dragons me mettait vraiment un bon stress là où celle du Riveïn était très relaxante.
Les thèmes liés à Lucanis et aux Corbeaux qui ont également une vibe orientale mais beaucoup plus subtile car en arrière-plan. Le thème de combat dans la Nécropolis du Nevarra avec des chœurs qui sont employés presque comme des instruments (celle-ci est un peu difficile à décrire, je vous l’avoue).
Et le jeu contient l’un de mes thèmes romantiques préférés de tous les jeux BioWare. Love and Ashes se décompose ainsi en plusieurs parties qui sont utilisées à différents moments et de différentes façons selon la romance. Il y a une première phase qui fait limite musique religieuse puis une transition avec la même ambiance spirituelle qui commence à laisser apparaître des violons. Ils prennent complètement le dessus dans la dernière partie et climax du morceau. Je préfère le piano pour les musiques de ce type (j’aime bien le côté dramatique que ça rajoute, on ne se refait pas), d’où le fait que Reflections de Mass Effect 2 a conservé sa première place mais Love and Ashes lui colle désormais bien au train.
On retrouve également des versions réorchestrées de plusieurs thèmes de DAI et de Trespasser à des moments bien précis du jeu. Sans surprise, elles tapent toujours autant et Zimmer et Balfe ont vraiment fait un très bon travail avec ces reprises voire mash-up car l’une de ces scènes a fusionné plusieurs morceaux pour les besoins d’une cinématique bien particulière.
Un détail qui fera encore hurler les puristes de la fantasy : l’utilisation dans la musique d’un certain nombre d’éléments électroniques. On n’est pas sur des thèmes full électro (à part pour un combat de boss) ou des thèmes hybrides (moitié classique/moitié électro) comme dans Mass Effect mais Veilguard a clairement exploité et creusé le sillon qu’avait ouvert Morris avec certaines compos de Trespasser.
Les mécaniques du jeu
On attaque maintenant les mécaniques de jeu.
Le nouveau système de gameplay est très dynamique et constitue un reboot complet. Difficile donc de le comparer aux autres. Disons que Rook est de très loin le plus mobile et agile des quatre protagonistes avec la possibilité d’attaques roulées ou sautées. En tant que mage, ça faisait des années que je rêvais d’un mage de combat avec une véritable dague et utilisant de la magie élémentaire. Et bien c’est chose faite avec la classe de la Lame Enchantée qui m’a donné tout ça avec en plus ma magie élémentaire préférée : la foudre. Le Chevalier Enchanteur d’Inquisition était déjà bien kiffant mais Veilguard a enfin concrétisé un fantasme personnel : botter des culs mano à mano avec une arme de corps à corps et en suintant de l’électricité par tous les pores.
Certains ont râlé contre l’aspect restrictif du peu de capacités disponibles en même temps. C’est plus complexe. Il y a beaucoup de capacités disponibles pour Rook et de nombreux équipements. Vos coéquipiers sont là comme renforts et générer des combinaisons. Il y a en fait de nombreuses possibilités entre ces différents éléments et il faut en fait tâtonner pour trouver ce qui vous arrange en fonction des faiblesses et résistances des ennemis. Une combinaison ne marchera peut-être pas aussi bien d’un type d’ennemi à l’autre. C’est donc un système très flexible. On sent clairement dans le système de combat un reliquat du multijoueur vers lequel le jeu s’est un temps dirigé quand EA a craqué son slip sur le sujet courant 2017-2019. Les équipiers qui servent de plates-formes à combos, bonus, afflictions, etc est sûrement le symptôme le plus clair.
A noter, que l’on ne gère que leurs capacités et équipements. Ils n’ont pas de barre de vie et sont donc techniquement immortels. Ce qui n’est pas plus mal, car leur IA n’a aucune autonomie, c’est à nous de systématiquement leur assigner leurs capacités, leurs combos et leurs cibles (les temps de récupération des capacités sont d’ailleurs assez longs). L’IA des ennemis du coup suit un schéma similaire en se focalisant sur Rook.
Le plus gros problème par contre réside dans l’équilibrage du bousin qui est fait à la truelle. Disons qu’à un certain degré de difficulté, dans les premiers niveaux vous allez un peu en baver puis une fois niveau 10 ça va s’équilibrer. Mais, une fois au niveau 30 quand le deuxième tiers des arbres de spécialisation commencent à s’ouvrir, vous allez vraiment botter le train de tout le monde au point que je suis toujours obligé de relever le niveau de difficulté d’un cran. L’autre souci d’équilibrage réside aussi au niveau des bosses qui balancent souvent des ultimates en rafale sans vous laisser le temps d’esquiver le petit frère ou la petite sœur de celui que vous venez de vous prendre. Ces saletés de démons de la colère (dont le redesign est bien meilleur je trouve que l’original) me viennent en particulier à l’esprit. Les attaques hyper speed de certains ennemis gagneraient grandement à être un peu adoucies.
Donc un nouveau gameplay très orienté action mais qui nécessite néanmoins une certaine réflexion tactique car impardonnable en raison de son dynamisme (si vous sentez un éternuement venir, mettez en pause, conseil d’ami) et en fonction des ennemis. Après les animations mollasses de DAO, le spawning sans fin de DA2 avec ses combats à rallonge et les animations raidasses d’Inquisition, je dirais que ce système est mon préféré des quatre jeux mais là ça dépendra vraiment de ce que vous recherchez dans ce domaine. Le jeu m’a en plus offert une expérience que je recherchais depuis longtemps, donc je suis complètement biaisé à ce niveau malgré des défauts qui m’ont bien frustré par moment.
Le level-design est à mon sens le plus réussi de la saga. On est sur un entre-deux par rapport à la façon de fonctionner de DAO/DA2 et de DAI. Des zones ouvertes mais pas des cartes immenses : grandes mais juste ce qu’il faut. Et l’impression d’échelle est clairement maitrisée cette fois. Dans Inquisition on avait de grandes zones sauvages très étendues et des zones urbaines en revanche très restreintes : Val Royaux, capitale d’un des deux grands empires de Thedas, était quand même une sacrée blague en matière de level-design. Dans Andromeda, il y avait le même problème : le Nexus, Aya et Port Kadara, sans pour autant être des cartes de petite taille, avaient ce rendu volumétrique très étrange qui empêchait de leur donner une véritable impression de grandeur.

Ici, Treviso et Minrathie donnent enfin l’impression d’être dans de véritables villes. Treviso est d’ailleurs devenu mon environnement préféré du jeu (comme à peu près tout ce qui est lié aux Corbeaux d’ailleurs). Quand aux zones plus sauvages, là aussi, elles ont cette nouvelle échelle mais sans perdre de leur impression de grandeur.
Le level-design et l’exploration sont également intriqués avec les quêtes et de nombreux puzzles. Ils sont peut-être un peu trop nombreux mais restent assez simples. Encore un point qui dépendra de la sensibilité de chacun. Le système d’exploration est d’ailleurs assez réminiscent des jeux Star Wars Jedi : Fallen Order et Survivor avec le déblocage de raccourcis qui vous permettront de circuler plus rapidement par la suite dans la zone (souvent des échelles et des tyroliennes).
Un mot sur la mini-map/map : elle est d’un minimalisme qui la rend complètement inutile pour se repérer. Elle indique seulement les "couloirs" de circulation du joueur, les balises de déplacement rapide et le QG de chacune des factions. Et encore, pour les balises, elle indique seulement le terme "balise" quand vous cliquez dessus alors que quand vous en débloquez une sur le terrain, une notification apparaît pour vous confirmer le déblocage de ce nouveau point de déplacement rapide avec un nom qui lui est propre. Pourquoi ne pas répercuter ça sur la map pour mieux se repérer ? Indiquer les positions des différents commerçants aurait été très pratique aussi surtout dans les zones urbaines.
Il n’y a plus de quêtes type FedEx ou de collectibles comme dans Inquisition et très peu de quêtes consisteront à vraiment vous balader d’un bout à l’autre de la map en dehors de quelques chasses au trésor (ce qui est logique dans ce cas-là). D’un point de vue global, l’intégration des quêtes au sein du level-design est là aussi l’un des plus réussis de la série. Le jeu affiche d’ailleurs une durée de vie de 60-70 heures. On est donc sur quelque chose de similaire à DAO.
J’ai évoqué les notifications des points de déplacements rapides un peu plus tôt. Les notifications sont par contre un point noir. Il y en a à tout bout de champ et pour tout et n’importe quoi. Les actions/réactions de personnages à certains choix de répliques ou d’actions, loot, leveling, etc... C’est sympa pendant la première partie mais ça devient très vite chiant par la suite. Et, la pire de toutes, cette saleté de gros bouton hexagonal "passer" avec sa couleur fuchsia propre aux menus du jeu qui apparaît à la moindre vibration de la souris pour sauter les cinématiques et qui va bien vous pourrir vos screens et vos captures. Alors que ça fait 25 ans (depuis au moins KOTOR) qu’on sait que la touche espace est dédiée à ça chez BioWare. Quand un mod a enfin été créé pour s’en débarrasser, le truc est resté en tendance sur le Nexus pendant plus d’une semaine.
Un autre élément qui dépend de la map : les conversations ambiantes entre les équipiers (que j’appellerai dans leur nom anglais : banters, c’est plus court.). Dans DAI elles étaient déclenchées par un obscur système de timer pour s’adapter au passage au monde ouvert là où DAO et DA2 possédaient des points de déclenchement géographiques. Vous passiez à des points particuliers de la map et *BIM* banter. Dans Veilguard, ils sont revenus à ce système ce qui permet de nouveau de profiter de plusieurs bribes de conversations en une seule phase d’exploration là où le système d’Inquisition pouvait passer des dizaines de minutes sans rien déclencher. Une nouveauté : si des combats ou autre chose venaient à interrompre la conversation, les équipiers la reprendront ensuite avec une petite phrase du style "On en était où ?" avant d’enchaîner. Et la mécanique des dialogues ambiants me permet de transiter vers la dernière partie de la chronique : l’écriture.
L’écriture
Et là, il va falloir s’accrocher, car c’est le morceau qui concentre les plus gros défauts du jeu. Et en plus ces défauts sont multiples, entremêlés et varient en impact et en intensité en fonction du domaine où ils s’appliquent. Bref un beau bazar, à l’image de la gestation du jeu. Ce n’est un secret pour personne, le développement de Veilguard a été chaotique, surtout au niveau des mouvements du personnel créatif de BioWare qui a été tout simplement démantelé entre Inquisition et Veilguard.
Un récap s’impose concernant le développement du jeu car je pense qu’il est plus que nécessaire de le rappeler avant d’attaquer. Et surtout qu’en 9 ans, des infos ont très bien pu sortir du radar de beaucoup de gens.
Le premier teaser (non officiel) du jeu était un tweet de Mark Darrah (alors chef de la franchise DA) daté de fin avril 2016 (soit 6 mois après Trespasser et la fin de DAI) et montrant un livret à la couverture rouge. Cette couverture était dotée d’une tête de loup surmontant une tour stylisée comme celles d’un jeu d’échec. Parmi les experts en tout des réseaux sociaux, certains ont râlé en disant que Rook comme protagoniste donnait l’impression d’une idée au rabais/arrière-pensée. Faux. Car en anglais, une tour d’échecs se nomme rook (ils ont conservé l’influence persane originale du nom de la pièce). Donc le personnage était bel et bien prévu dès le départ.
Au niveau du teasing officiel, on se contentera de trois teasers successifs en décembre 2018 aux VGA, puis les Dragon Age Day en 2020 et 2023 où le jeu prend le titre de Dreadwolf. Les news de départs successifs chez BioWare s’enchaînent pendant cette période notamment avec les plantages commerciaux d’Andromeda en 2017 puis d’Anthem en 2019. Le summum est atteint en début d’année 2024 où on apprend qu’une cinquantaine de personnes sont mises à la porte dont une partie de l’équipe de Dragon Age. Le personnel de l’équipe Mass Effect est alors réattribué à Dragon Age pour se mettre au travail sur le jeu.
En se basant sur les déclarations de l’actuel PDG de BioWare, on sait qu’ils ont commencé à bosser sur la version finale du jeu en 2020 et qu’ils ont essayé différentes choses avant ça notamment une version entièrement multijoueur. Mon extrapolation personnelle : le jeu a été très certainement rebooté plus d’une fois. D’abord un jeu solo juste après Inquisition puis un premier reboot dans la période 2017-2019 qui correspond au moment où EA a complétement craqué son string sur le multijoueur puis arrive 2019 avec Anthem et son explosion en plein vol avec grosses remises en question à la clé. Petite pause début 2020 due au déclenchement de la pandémie puis retour au bureau dans le courant de l’année pour recommencer le boulot de nouveau sur un jeu solo.
Puis l’annonce du gros limogeage en 2024 suivie en juin de l’annonce surprise de la campagne marketing avec changement de titre car changement de focus et de point de vue narratif. Donc un probable troisième reboot, ou plutôt semi-reboot pour ce coup-ci. Vous les sentez les grosses réécritures en catastrophe par des scénaristes au boulot sur un autre projet qui ont récupéré le boulot d’anciens collègues parce que ceux-ci se sont faits virés comme des m****s et que le studio veut éviter de se prendre des procès pour droits d’auteur ? Donc autant dire, des conditions loin d’être optimales pour obtenir quelque chose de qualitatif.
Maintenant, fin de la parenthèse, rentrons dans le vif du sujet.
A mon sens, l’histoire du jeu est solide. Il y a clairement un potentiel qui aurait pu être exploité et poussé plus loin mais le résultat final reste bon malgré tout. Elle va crescendo car les protagonistes comme les antagonistes doivent tous commencer de zéro. Comme le dit Varric dans l’une de ses cinématiques narratives "Les dieux étaient libres et s’étaient réveillés pour finalement trouver leur Empire, leurs sujets et même leurs semblables divins, tous disparus.". Les premières heures paraissent donc poussives car les personnages tâtonnent par rapport à ce qu’ils doivent faire. Cela est amplifié par le fait que l’on sent dans cette phase de prologue du jeu que les scénaristes ont dû assembler entre eux des éléments issus des différentes moutures de développement pour se créer une base.
On a en fait des quêtes/périodes d’action liées entre elles par des dialogues qui initient la quête suivante. C’est quelque chose de très symptomatique de scénarios où il n’y avait qu’un fil rouge. Ce dernier apparaît dans les scènes qui font avancer le récit mais pour continuer à avancer il faut ensuite des scènes de dialogues souvent blindée d’exposition pour lier ces grandes étapes entre elles. Pas mal de films produits pendant la grève des scénaristes de 2008 ont ce problème (Quantum of Solace, le deuxième Bond avec Craig en est un très bon exemple).
Dans le prologue de Veilguard on est sur quelque chose de similaire. De discussions en discussions avec nos compagnons, les trois premières quêtes post-intro s’enchainent comme ça. C’est cohérent mais ça manque d’un peu de liant. Cette impression commence à vraiment s’estomper puis à disparaître une fois que l’on accède à la Croisée des Chemins et que l’on a plusieurs options de quêtes principales à explorer dans l’ordre que l’on souhaite.

Après le prologue, l’histoire du jeu se décompose en 3 Actes. Pas concrètement comme les deux sauts de 3 ans de DA2 mais il y a très clairement deux évènements charnières qui marquent un avant et un après au niveau de l’histoire. La mission finale de l’Acte 2 et l’Acte 3 en général sont clairement au-dessus des deux autres (non pas qu’ils soient mauvais pour autant, attention). L’Acte 3 concentre ainsi les meilleures quêtes principales du jeu et les missions des personnages qui consistent en arcs de plusieurs quêtes culminant avec une mission de loyauté. Ils auraient peut-être pu mettre les premières quêtes de chaque personnage dans l’Acte 2 pour un peu rééquilibrer mais c’est purement personnel.
Quant à la mission finale du jeu, elle est pour moi la meilleure de la franchise à égalité avec la bataille de Dénérim dans DAO. Elle est longue (entre 3 et 4 heures pour la boucler), est structurée comme la double mission finale de ME3, reprend des mécaniques de gameplay de la mission suicide de ME2 et reprend même un élément narratif d’une mission de ME1 (on flirte dangereusement avec le spoiler, donc je n’en dirai pas plus). Et la fin, bien que coincée par un impératif narratif immuable (rappelez-vous ce que Solas cherche à détruire et les conséquences qui vont avec), possède 3 variantes principales et différents degrés de succès en fonction de nos actions dans le jeu.
Le jeu a clairement été conçu comme une conclusion et pas une continuité (on va parler des choix des jeux précédents dans un instant). Il conclue toutes les pistes ouvertes par les DLCs d’Inquisition et l’histoire boucle cet arc spin-off d’Origins initié par la fuite de Hawke pendant la bataille de Lothering. Avec les grosses révélations sur plusieurs aspects du lore que l’on se prend dans une quête en particulier (du même niveau que la conversation finale de Trespasser), j’ose même dire que Veilguard arrive à injecter une dose de liant qui manquait un peu entre Origins et le reste de la saga (je vois déjà les puristes sortir les fourches et les crucifix). Pour rappel, quand DAO a été mis en chantier, aucune suite n’était prévue contrairement à Mass Effect où une trilogie était programmée dès le départ. Et bien que le jeu soit clairement une conclusion, une nouvelle piste s’y profile pour un DA5 à travers une scène post-générique semi-cachée (il faut remplir certaines conditions pour la débloquer mais rien de vraiment compliqué en soit).
Concernant les choix précédents et du jeu en lui-même.
Après avoir joué au jeu, je maintiens et redis ce que j’avais dit quand la news est tombée : je comprends le choix des scénaristes qui avaient déjà un assez gros bazar avec le jeu en lui-même et qui se passe dans un territoire jamais affecté par nos choix et des années après nos décisions les plus récentes. Je considère que des clins d’œil et des références à travers le Codex auraient très bien pu faire l’affaire. J’ai installé plusieurs mods qu’ils l’ont fait en modifiant/ajoutant juste quelques lignes de Codex ici et là et ça marche très bien.
Par contre, à relativiser, ces jeux à choix ont toujours eu leurs limites narratives, Dragon Age n’en est pas à son premier couac en la matière : Léliana qui peut mourir dans Origins mais qui revient à la vie quand même, la guerre mages/templiers qui se passe à 90% hors écran et qui s’éteint d’elle-même à cause de la destruction du Conclave et parce que l’Inquisition et Corypheus recrutent les vestiges des deux camps, le grabuge à Weisshaupt teasé dans le premier épilogue d’Inquisition et finalement mis sous le tapis dans Trespasser...
D’autres jeux acclamés comme The Witcher 3 ont aussi géré de façon très minimaliste les choix des opus précédents et personne n’en a fait un cake. A bon entendeur...
Tout ça pour dire qu’entre le cadre narratif de Veilguard, la conception du jeu comme une conclusion et pas une continuité et les limites de la mécanique en elle-même, oui, c’est dommage mais pas dommageable à ce point.
Concernant les choix propres au jeu, il y a un seul gros choix en dehors de la fin qui impacte vraiment le monde à proprement parler : celui qui conclue l’Acte 1 et nous fait basculer dans l’Acte 2. Il a d’ailleurs des conséquences pendant tout le restant du jeu. Les autres sont des choix qui influencent les compagnons au fur et à mesure de leurs arcs narratifs.
Les compagnons
Et les compagnons, parlons-en justement, puisque c’est finalement eux qui sont à l’origine du titre final du jeu. Il y a à boire et à manger et là aussi avec différents problèmes entremêlés. Pour info j’ai joué au jeu en VOSTFR pendant ma première partie puis en VO complète depuis.
Déjà, ils contiennent le plus gros problème du jeu : les dialogues. C’est un cas vraiment très particulier. Les dialogues marquent non seulement une rupture de ton par rapport aux jeux précédents mais au sein de Veilguard lui-même.
Il y a beaucoup de tournures et de vocabulaire modernes/réels qui sont aussi passés dedans. La traduction française en a visiblement remis une couche en y ajoutant du tutoiement et des négations où le "ne" saute.
Ensuite, ces dialogues dégagent vraiment une ambiance à la Marvel, c’est à dire qu’on a régulièrement des traces plus ou moins poussées d’humour, de punchlines ou de remarques assez souvent crispantes. Probablement un reliquat de la phase multijoueur du jeu où les personnages sont souvent traités comme des superhéros, combiné aux très probables réécritures en catastrophe que j’extrapolais tout à l’heure. Car ce n’est pas juste le ton des répliques, c’est juste la qualité intrinsèque des dialogues qui sent le manque. Manque d’expérience ? Manque de temps ? Je ne saurais pas dire exactement mais ça m’a rappelé un souvenir bien vivide : mes propres dialogues dans mes romans quand j’ai commencé à les écrire à 15 ans en 2007. Typiquement le genre de répliques que j’ai éradiqué à grand coup de réécritures quand j’ai bouclé mon premier tome 7 ans plus tard.
Pendant ma première partie, j’ai arrêté de compter le nombre de fois où j’ai fait mon imitation de Cassandra (le bruit de dégoût avec les yeux au ciel, ndlr). Une fois la nuque mouillée, ça passait beaucoup mieux ensuite à partir de ma deuxième partie.
La résultante de tout ça, c’est que ça rend la mécanique de la roue de dialogue encore plus bancale car les répliques indiquées comme simplement positives contiennent parfois plus d’humour que l’option sarcastique du même dialogue. Déjà que la mécanique de la roue est de plus en plus critiquée pour l’aspect résumé des choix de répliques qui ne sont du coup pas toujours très clair en termes de tonalité, si en plus on neutralise l’indicateur de ton, on est mal rendus.
Après, la roue est une mécanique qui a près de 20 ans (mise au point pour le premier Mass Effect, donc en 2005-2006), il serait peut-être temps d’en faire un revamp complet plus que nécessaire.
Le souci c’est que ça créé deux tons parallèles entre la montée en puissance des dieux et les dégâts qu’ils provoquent et l’équipe. On a donc une narration avec un ton sérieux mais qui côtoie des personnages où l’ambiance est quand même très chill. Attention, ils ont leurs petits coups de mous et autres revers, etc mais globalement, l’ambiance au sein du Phare (notre QG, ndlr) fait quand même très auberge de jeunesse au niveau des discussions qui s’y passent. Je n’irai pas à dire qu’on est sur une bande de potes mais il y a très peu d’animosités entre les uns et les autres contrairement par exemple avec Jack/Miranda, Vivienne/Sera-Blackwall-Solas ou Morrigan/le reste de l’équipe.

Les personnages ont tous en fait une personnalité vertueuse et positive. Je trouve d’ailleurs qu’il y a un écart de développement entre les personnages masculins et le reste de l’équipe. Lucanis, Emmrich et Davrin sont les trois à avoir de vraies évolutions entre notre rencontre avec eux et la conclusion du jeu là où Neve, Harding, Bellara et Taash font techniquement plus ou moins du surplace. Le bonus d’évolution des trois hommes passe d’ailleurs exactement par le même biais : un sidekick. Lucanis a Rancœur, un démon que lui ont implanté les Venatori, Emmrich a Manfred, son assistant squelettique et Davrin a Assan, son jeune griffon.
Le doublage en VO est généralement assez proportionnel à la qualité narrative du personnage, je vais donc faire les deux d’un coup.
J’ai vraiment apprécié chaque équipier, là où les trois premiers avaient toujours leur lot qui me laissait de marbre. Sans surprise, les trois hommes sont ceux que j’ai le plus apprécié.
Enorme coup de cœur personnel pour Lucanis en particulier. Je ne pensais pas devenir un fanboy un jour, et bien c’est fait. Je me suis pas mal retrouvé personnellement dans le personnage, ça aide aussi (non, je ne suis pas l’hôte d’un démon 😛). L’accent antivan a eu le même effet sur moi que pour Joséphine dans Inquisition (alors que Zevran me gonfle prodigieusement dans Origins, allez comprendre). Et Zach Mendez interprète en plus le personnage avec une voix très douce et posée sans compter les animateurs qui ont eu la main lourde sur le regard de chien battu le concernant (quand je vous disais qu’ils avaient pimpé les animations dans ce jeu).
Emmrich est le papy du groupe. Sage et disposé à aider l’équipe à la moindre occasion. Nick Boraine joue le personnage avec un côté très gentleman à l’anglaise. On sent aussi que c’est le personnage où les scénaristes se sont le plus éclatés et ont peut-être eu le moins de problèmes de continuité au niveau du personnel de BioWare. Pour Lucanis par exemple, sa scénariste d’origine, qui était celle aussi de Varric depuis DA2, s’est faite mettre à la porte du jour au lendemain fin Aout 2023.
Davrin a une mentalité de guerrier mais pas de bourrin. Il a ses moments de bouillonnement mais finit toujours par retrouver son calme. Ike Amadi pose l’une sinon la meilleure performance vocale du jeu avec de bons moments de bravoure quand le personnage hausse le ton avec une voix très grave et profonde. Intéressant d’ailleurs d’entendre sa voix au naturel sans le mixage alien de Javik qu’il interprétait en VO dans ME3.
Neve est très sympathique avec une personnalité cynique au premier abord mais qui révèle d’autres facettes au fur et à mesure du jeu. Elle joue un peu le rôle de la maman de l’équipe en prenant les plus jeunes sous son aile. Son doublage a été pas mal critiqué mais Jessica Clark joue en fait le personnage avec un côté très film noir à l’ancienne (c’est une détective après tout) qui est visiblement passé au-dessus de la tête des experts en tout. Personnellement, on me dirait de doubler un détective, c’est clairement cette inspiration que je puiserais aussi.

Pour Bellara, on est sur une Merrill sous stéroïdes avec une dose de Mordin Solus. En gros, la férue et expertes en artefacts elfiques avec des idées à 100 à l’heure. Très mimi mais aussi très dans la lune, ce qui va peut-être vite en gonfler certains et c’est exactement comme ça que Jee Young Han joue le personnage. Quelques répliques parfois surjouée ici ou là mais ça découle davantage d’un autre problème qu’on va aborder juste après.
Concernant Harding, vous connaissez le personnage. Le perso secondaire régulier avec un petit côté humoristique qui surgit ici et là, dans les interactions espacées qu’on a avec elle. Ça marchait bien dans Inquisition. Le problème c’est que dans Veilguard, ils en ont fait toute sa personnalité en poussant le truc encore plus loin. Donc elle a régulièrement un côté innocent voire presque puérile par moment.
Ali Hillis double le personnage en conséquence et son doublage est d’ailleurs le plus touché par un problème que l’on retrouve chez les autres mais de façon beaucoup, beaucoup plus disparate. La réplique a un ton, une émotion qui colle avec la scène mais la façon dont le dialogue est délivré est plus ou moins en décalage avec le reste. Comme si le doubleur avait été mis dans sa cabine avec juste son texte et peu ou pas d’indications sur le contexte de la scène.
Comme je disais, les autres personnages ont quelques lignes comme ça dispersées sur tout le jeu mais Harding en cumule bien plus, particulièrement concentrée dans l’Acte 1. Ce qui me laisse supposer que le doublage n’a pas dû être un long fleuve tranquille non plus car la doubleuse bosse avec BioWare depuis 20 ans, elle est la doubleuse en VO de Liara dans Mass Effect, et elle est donc loin d’être une bleue en la matière. (Oui, j’ai osé faire cette blague. Bisous.)
On arrive maintenant à Taash que j’ai gardé(e) en dernier pour conclure sur les problèmes d’écriture du jeu car le personnage, en fait, les concentre et les résume. Sa personnalité est à l’image de son écriture et de celle de Veilguard en général : brute de décoffrage et avec un gros manque de raffinement (ou d’affinement plus précisément). Je prendrai le personnage de Dorian dans DAI comme comparaison car la base de leurs storylines sont très similaires : une identité différente, qui complique une relation familiale et les choix du joueur qui viennent influencer cette dernière partie. La différence par contre c’est que Dorian est plus âgé et donc au clair et droit dans ses bottes au niveau de son homosexualité. Taash par contre est une jeune adulte et cherche encore à se comprendre et à se trouver à ce niveau. Sa jeunesse est notamment la source de la plus grosse injection de langage moderne dans le jeu : elle s’exprime très souvent à grand coup de Nope/Yeah (Nan/Ouais) comme une caricature de GénZ. Cela dit son "That’s messed up" (C’est tordu) résume très bien les situations auxquelles elles l’appliquent régulièrement.

Concernant donc sa non-binarité, puisque c’est de ça qu’il s’agit, il y a une comparaison avec Dorian qui résume très bien le problème de subtilité d’écriture. Dans DAI, Dorian utilise la phrase "Je préfère la compagnie des hommes" au lieu d’employer les termes modernes comme gay ou homosexuel. Taash, par contre, balance carrément le terme "non-binaire". En revanche, quand elle arrive enfin à mettre un nom sur ce qui la mettait mal-à-l’aise, c’est l’ouverture des vannes et elle pose beaucoup de questions autour d’elle et en parle beaucoup aussi. Si les dialogues auraient pu effectivement être plus subtiles, la réaction par contre est plus que naturelle quand on a ce genre de révélation.
En plus, dans les scènes où le personnage prend le temps de respirer en dehors de cette thématique, on peu vraiment apprécier sa passion et sa vision des dragons. D’autant que son arc apporte des éléments intéressants sur l’Histoire des Qunaris. Elle garde toujours un côté rentre-dedans mais en même temps : c’est une pirate, une chasseuse de dragons et une Qunarie. Dans le genre combo de la subtilité, on repassera.
Le plus frustrant avec ces problèmes d’écriture c’est qu’il y a justement des scènes qui marchent super bien. Celle qui me vient à l’esprit automatiquement c’est la première scène où Bellara se confie à nous et pose les prémices de ce qui va devenir son arc personnel. La musique, l’ambiance et les dialogues se répondent parfaitement et la scène est vraiment réussie. Preuve une fois de plus d’un potentiel brut qui manque simplement de peaufinage.
Rook et ses interaction
Après les compagnons, un passage sur Rook et ses interactions.
Des quatre protagonistes, c’est sûrement celui auquel je me suis le plus attaché et le plus vite. Sans aucun doute dû à la performance vocale d’Alex Jordan associée à l’intonation la plus grave du créateur de personnage. Le tout donne une voix grave, douce et posée que j’ai beaucoup appréciée sans compter la qualité de son doublage à proprement parler.
A travers les quêtes et les dialogues de cinématiques on a de nombreuses interactions avec les personnages mais il y a un point où l’immersion bat un peu plus de l’aile. Les interactions au sein du Phare entre Rook et l’équipe. Il y a pas mal d’entrées de Codex et de notes où les compagnons font des choses entre eux et où Rook n’est pas mentionné : un club de lecture et un pense-bête dans la salle à manger avec des notes qui évoluent au fil du jeu par exemple.
Je viens d’ailleurs de m’initier à la création de mods en améliorant ce pense-bête. J’ai simplement édité les notes par l’ajout de quelques lignes, rien de bien sorcier. Le mod est actuellement en top tendance sur le Nexus, mon idée toute bête n’était apparemment pas si bête que ça (lien du mod
https://www.nexusmods.com/dragonagetheveilguard/mods/1889.
Au niveau des banters, il y a un doublon étrange. Les conversations ambiantes peuvent ainsi avoir lieu sur le terrain mais aussi se déclencher dans le Phare. Rook, interagit avec quelques-uns d’entre eux mais uniquement sur le terrain. Si la même conversation se déclenche dans le Phare, une variante plus ou moins modifiée prendra sa place avec Rook comme simple spectateur. De ce point de vue, c’est une stagnation pour Dragon Age mais un retour en arrière pour les jeux BioWare en général car Andromeda avait largement dopé le nombre de dialogues ambiants entre Ryder et les passagers du Nomade.
Bien entendu, LA grosse interaction : les romances. J’ai lu que beaucoup de gens les trouvaient un peu molle. Je dirais que le problème est plus structurel que narratif. Ils ont adopté en fait la structure des romances de la trilogie Mass Effect avec un verrouillage tardif et un climax romantique au moment de la mission finale. Du coup sur 60 heures de jeu ça peut paraître effectivement long, c’est pour ça qu’Andromeda avec sa structure plus ouverte avait adopté un système de romance plus semblable aux Dragon Age.
En plus, elles se déclenchent vraiment à partir de l’Acte 3. Il y a pléthore d’options de flirt avant ça mais c’est seulement là que Rook et sa target vont vraiment commencer à se frôler de près (notamment dans un certain cellier avec un certain personnage, mais je m’égare). Je suis d’accord en tout cas pour dire qu’Inquisition avait la meilleure écriture à ce niveau.
Personnellement, j’ai uniquement romancé Lucanis (oui, je suis un simp et je suis faible, jugez-moi) et sa romance a en plus été écrite comme un slow-burn parce que le personnage a besoin d’une connexion émotionnelle forte pour s’ouvrir à cause de tous les traumas qu’il a subi. J’adore les slow-burns en matière de relation dans les fictions et bien là j’ai été gâté. Je pense que j’ai aussi confirmé des tendances masos au passage.
Il y a apparemment pas mal de contenu qui a été coupé au montage ou abandonné au niveau des romances. Pour Lucanis, par exemple, une scène romantique restée à l’état de storyboard devait se dérouler dans un lac de Treviso : quelque chose de similaire à la scène romantique de Jaal dans Andromeda.
En fait, en dehors de la scène de s**e, il n’y pas de scène entièrement dédiée à la romance, uniquement des variations romantiques de scènes de dialogues qui auront lieu quoi qu’il arrive. On a du coup l’impression que les romances sont un peu une sorte d’à-côté ou bonus par rapport aux personnages.
Pour Lucanis, j’ai d’ailleurs là aussi créé un mod qui approfondi sa romance avec l’édition plus ou moins poussée de plusieurs entrées de Codex. Il est en train d’avoir son petit succès aussi. Ça tombe bien, je suis en train de préparer la version suivante (lien vers le mod :
https://www.nexusmods.com/dragonagetheveilguard/mods/1897).
Je me suis beaucoup étendu sur ses défauts mais l’écriture n’est pas sans qualités qu’il convient de citer, sans m’y attarder, malheureusement, au risque de spoiler méchamment :
Les thématiques du passé, des regrets, du deuil et de la rédemption sont récurrentes et très bien menées. Toutes les parties de l’histoire qui reposent dessus sont les meilleures du jeu notamment (mais pas que) le triangle Rook-Solas-Varric.
En termes d’enjeux, on est clairement au-dessus des enjeux domestiques de DA2 et au même niveau que DAI mais avec des antagonistes bien mieux gérés que Corypheus qui était, disons-le, un méchant en carton.
L’écriture de Solas qui, bien que relégué à un rôle d’arrière-plan à cause du passage de Dreadwolf à Veilguard, reste un personnage toujours aussi fascinant et son arc narratif réserve son lot de surprises.
Un détail très bête mais on est plusieurs à l’avoir remarqué : les titres des quêtes. Je ne sais pas qui en a eu la charge mais ils sont toujours au point avec une formulation très classe et un côté teasant mais sans spoiler. Du même niveau que les versets du Cantique de Lumière dans DAI.
CONCLUSION
Un opus qui ne plaira pas à tout le monde, c’est certain. Mais on parle en même temps d’une franchise qui a un gros problème de continuité au niveau de son identité. Oui, le jeu a ses défauts mais DAO, DA2 et DAI avaient aussi les leurs (oui, j’ose remettre en question la soi-disant perfection d’Origins).
Au vu du résultat final : un jeu techniquement très propre avec surtout des problèmes de narration qui ne sont pas du tout une surprise, c’est un miracle ce qui a été accompli ici par BioWare compte tenu de ce qu’a été le développement de ce jeu jusqu’au bout. Il ne faut pas oublier que Veilguard reste un jeu bâtard entre l’ancienne et la nouvelle génération de BioWare, donc Mass Effect 5 sera le premier vrai jeu entièrement développé par la nouvelle équipe. A voir ce que ça donnera.
Pour conclure sur mon impression personnelle. J’ai aimé ce jeu. Il m’a offert une expérience qui m’a plu de bout en bout et a su m’accrocher malgré des problèmes évidents. J’ai exposé et développé tous ses défauts et qualités. Certains parmi vous seront peut-être plus sensibles que moi sur certains points mais en tout cas tout y est exposé.
Merci en tout cas à ceux qui sont allés au bout de ce pavé.